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91 | Expertise| Mieux prendre en compte la nutrition

Entretien avec Francis Delpeuch, Institut de recherche pour le développement

Que signifient précisément les termes « sous-alimentation » et « malnutrition » ?

Sécurité alimentaire : Au-delà de l'urgence
Sécurité alimentaire : Au-delà de l’urgence

Francis Delpeuch : Vous soulevez là une confusion sémantique, liée en partie à des problèmes de traduction de l’anglais au français. Par exemple, quand la FAO annonce qu’un peu plus d’un milliard de personnes «ont faim» en 2009, il s’agit d’un décompte réalisé à partir du bilan des disponibilités alimentaires dans chaque pays. Ce ne sont pas des personnes recensées dans des enquêtes de type épidémiologiques. Pour déterminer le niveau des disponibilités alimentaires, la FAO fait le compte de tout ce qui est produit dans un pays, y ajoute ce qui est importé et y soustrait les pertes et les exportations. Ensuite, elle fait un calcul par rapport à la population totale et au métabolisme de base pour définir le niveau des disponibilités alimentaires en calories et déterminer la part de la population en sous-alimentation chronique.

Voilà ce que la FAO décrit comme «la faim dans le monde», à savoir des personnes sous-alimentées en énergie ; sachant qu’en moyenne, un individu a besoin au minimum d’environ 1 800 kilocalories d’apports énergétiques par jour. En anglais, cette sous-alimentation se dit «undernourishment». Le problème, c’est qu’on entend souvent dire : « un milliard de personnes souffrent de malnutrition» ou «il y a un milliard de mal-nourris ». Or la malnutrition consiste en une mauvaise alimentation, par excès ou par carence, désignée dans ce dernier cas en anglais par le terme « undernutrition ». Comme en français la malnutrition s’emploie le plus souvent pour décrire des carences alimentaires, il serait utile d’emprunter un néologisme et parler de « sous-nutrition ». On distingue dans cette catégorie la malnutrition du jeune enfant, qui apparaît pendant la vie fœtale et la toute jeune enfance, avant deux ans, et se manifeste par de la maigreur ou un retard de croissance. La forme de malnutrition la plus répandue dans le monde est d’ailleurs constituée par des retards de croissance, c’est-à-dire des enfants qui n’ont pas un développement normal, mais peuvent ne jamais être maigres. Ces malnutritions ne résultent pas seulement d’un manque d’énergie mais de carences multiples et d’une conjugaison de causes sous-jacentes, alimentaires ou non. Il existe également des carences spécifiques en micronutriments – vitamine A, fer, zinc ou iode – souvent qualifiées de «faim cachée».

Enfin, pour être complet, une autre forme de malnutrition est la surnutrition, avec comme conséquences les plus emblématiques le surpoids et l’obésité et tout le cortège de maladies chroniques qui y sont associées : diabète de type 2, maladies hypertensives et cardio-vasculaires, certains cancers, etc.

Quelle est la gravité de ces phénomènes de malnutrition ?

Francis Delpeuch : Au cours des vingt dernières années, les connaissances nouvelles ont conduit à réévaluer l’importance de la nutrition et de l’alimentation pour la santé, le bien-être et le développement. La recherche a montré que les conséquences des malnutritions en termes d’impact pour les sociétés sont bien plus importantes qu’on ne l’admettait auparavant : près de la moitié des décès chez les enfants de moins de cinq ans sont liés à la malnutrition, en association avec diverses infections. La sous-nutrition affecte le développement physique et mental des individus et les séquelles sont irréversibles après l’âge de deux ans. De plus, les mères affectées dans leur enfance présentent un plus grand risque de donner naissance à des bébés de poids insuffisant. La carence en vitamine A peut rendre les enfants aveugles, la carence en fer engendre de grandes fatigues avec une productivité très diminuée et des enfants incapables d’apprendre à l’école. Le coût social et économique est énorme.

Que désigne-t-on alors comme «insécurité alimentaire» ?

Francis Delpeuch :La FAO définit l’insécurité alimentaire comme : «une situation caractérisée par le fait que la population n’a pas accès à une quantité suffisante d’aliments, sains et nutritifs leur permettant d’avoir une croissance et un développement normaux, d’être en bonne santé et de mener une vie active». > lire Repères p. 14

Les analyses des nutritionnistes parviennent-elles à identifier parmi le milliard de personnes qui ont faim celles qui relèvent de sous-alimentation chronique, celles qui subissent des situations de conflit, etc. ?

Francis Delpeuch :Ce milliard est établi en cumulant les chiffres nationaux. On dispose donc d’abord du nombre supposé de personnes à risque de sous-alimentation dans chaque pays et on sait aussi que la grande majorité de ces personnes se situe aujourd’hui en Asie et en Afrique. Mais on ne peut pas faire d’analyses plus fines, notamment infranationales, à partir de cet indicateur de la FAO puisque, rappelons-le, il est établi à partir des bilans nationaux de disponibilités alimentaires. Cependant, on sait aussi qu’en dehors des situations de conflit et de crise, ce sont d’abord les ménages pauvres qui sont touchés puisque le premier problème est celui de l’accès économique aux aliments.

Cet indicateur, qui est utilisé par la FAO pour le plaidoyer, a donc des limites. Certains pensent même qu’il est contreproductif pour faire reculer la sous-alimentation dans le monde. Ainsi, dans un éditorial récent consacré au dernier Sommet mondial de l’alimentation de la FAO, The Lancet, une des toutes premières revues médicales au monde, s’est interrogé sur les raisons pour lesquelles des individus continuent massivement à mourir et à souffrir de handicaps irréversibles parce qu’ils n’ont pas assez à manger. Et ceci malgré la pléthore d’initiatives internationales et les investissements importants dans des technologies innovantes. Le The Lancet évoque deux raisons rarement avancées. Il appelle d’abord la communauté internationale à ne plus utiliser le mot «faim» pour parler de la sous-nutrition ; estimant que cette description subjective ramène la sous-nutrition, dont les conséquences sont immenses, au phénomène physiologique courant de la faim que chacun peut ressentir quand il n’a pas mangé pendant quelques heures. Il considère ensuite que le fait d’utiliser des disponibilités énergétiques pour mesurer la sous-nutrition entraîne de la confusion chez les décideurs. Par conséquent, il appelle à utiliser plutôt un indicateur plus direct pour les adultes (chez les enfants on a déjà de bons indicateurs), en l’occurrence l’indice de masse corporelle (IMC = poids/taille²) avec des seuils standards internationaux qui ont déjà été validés (inférieur à 18,5 et à 16 pour les cas sévères). L’IMC est déjà largement utilisé par les nutritionnistes, et le Lancet note qu’à l’autre extrémité de l’échelle, depuis la fin des années 1990, ce ne sont pas les disponibilités alimentaires qui sont utilisées pour mesurer la «surnutrition» (surpoids et obésité) mais bien les IMC élevés (> 25 et > 30 respectivement).

Les personnes sous-alimentées recensées dans le monde par la FAO sont en forte majorité situées dans les pays en développement…

Francis Delpeuch : La FAO considère que le problème de la faim est réglé dans un pays quand la part de la population qui est sous-alimentée est inférieure à 5 %. Sur le milliard de sous-alimentés dans le monde, seulement 15 millions vivent dans des pays riches industrialisés. >lire Repères p. 28 La sous-alimentation est donc bien d’abord un problème de pays pauvres.

En revanche, la distribution des malnutritions est de plus en plus complexe. Par exemple, des problèmes de sous-alimentation et de malnutritions carentielles coexistent avec des problèmes d’obésité dans la plupart des pays en développement. C’est ce qu’on appelle la « double charge de malnutrition ». Plus marquant encore, dans un certain nombre de pays, assez peu en Afrique noire, mais en Afrique du Nord, en Amérique latine ou dans certains pays asiatiques, on enregistre une proportion non négligeable de ménages qui comptent en leur sein des problèmes de malnutrition à la fois par carence et par excès ! Vous rencontrez ainsi des familles où un enfant est en retard de croissance alors que la mère est en surpoids ou obèse…

Quel est le champ d’expertise constitué autour de la sécurité alimentaire ?

Francis Delpeuch : Le cercle des experts qui travaillent sur la sécurité alimentaire stricto sensu est assez restreint. Il s’agit principalement d’économistes agricoles et de politistes, qui cherchent à caractériser la sécurité alimentaire, à en analyser les déterminants et, éventuellement; à proposer des options de politiques publiques pour la garantir. Ce sont eux qui ont fait évoluer le concept. >lire Repères p. 14 En dehors de ce premier cercle, il existe un vaste champ d’expertise, issu de nombreuses disciplines (par exemple toutes celles qui interviennent sur la production et son conditionnement) et dont les travaux peuvent contribuer à améliorer les connaissances sur la sécurité alimentaire, sans que cette dernière constitue un objet de recherche explicite.

Par exemple, il a été montré que la pauvreté est à la fois une cause et une conséquence des malnutritions. Toutefois, la croissance économique ne se traduit pas nécessairement par une amélioration rapide de la situation nutritionnelle. La nutrition peut même ne pas suivre du tout la croissance des revenus. Ceci a été mis en évidence par une analyse comparée des pays dans lesquels l’insuffisance pondérale des jeunes enfants avait diminué notablement. Les questions d’affectation des ressources et d’équité dans leur répartition sont ici cruciales, de même que les questions de genre : statut et niveau d’éducation des femmes. Une illustration en est le Kerala, l’un des États les plus pauvres de l’Inde : il présente une situation sanitaire et nutritionnelle bien meilleure que le reste du pays en raison des politiques mises en place dans le domaine social, de l’éducation et de la santé. >lire p. 56

Les travaux d’Amartya Sen sur la pauvreté ont également été déterminants, relevant le fait que les situations de crise alimentaire sont souvent liées à des contextes politiques troublés.

Quel sont les grands appareils d’expertise internationale ?

Francis Delpeuch :D’abord la FAO, bien sûr, mais aussi le Fonds international de développement agricole (Fida) et le Programme alimentaire mondial (PAM), qui ont développé leur propre expertise. Il faut également compter les différents Centres internationaux pour la recherche agricole, qui constituent une alliance originale entre les gouvernements, les institutions internationales et les fondations privées pour promouvoir la sécurité alimentaire et réduire la pauvreté. Notamment le très influent Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri). L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a pris un poids de plus en plus important à travers les questions de libéralisation des échanges agricoles. >lire p. 37 L’OMC a également arbitré des différends portant sur des questions alimentaires comme les hormones de croissance dans la viande de bœuf ou les quotas de pêche.

Comptent également les grandes fondations philanthropiques privées, comme la Fondation Rockefeller. Enfin, les principales ONG internationales constituent des lieux d’expertise ainsi, évidemment, que le monde universitaire. Par exemple, l’Institute for Development Studies, au Royaume-Uni, a eu une grande influence, notamment grâce aux travaux de Simon Maxwell, qui ont été essentiels dans l’évolution du concept de sécurité alimentaire1. Dans les années 1980, Simon Maxwell a travaillé sur la prise en compte de la perception qu’ont les individus de leur propre situation : est-ce qu’ils se sentent ou non en insécurité alimentaire ? L’idée sous-jacente était que les objectifs et les actions à mener pour vaincre l’insécurité alimentaire devaient être décidés par les individus eux-mêmes.

Les travaux d’Amartya Sen sur la pauvreté ont également été déterminants, notamment la relation qu’il a démontrée entre démocratie et sécurité alimentaire, relevant le fait que les situations de crise alimentaire sont souvent liées à des contextes politiques troublés2 . Ces travaux ont contribué à relativiser l’approche technique et productiviste pour introduire l’importance des questions d’organisation humaine dans les causes de la famine. >lire Repères p. 14

Aujourd’hui, les questions de nutrition semblent être de plus en plus reconnues s’agissant de la sécurité alimentaire…

Francis Delpeuch : La tendance est en effet de parler, enfin, de sécurité alimentaire et nutritionnelle. À la suite de la crise alimentaire de 2007-2008, il a été proposé de créer un Partenariat mondial pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition, doté d’un groupe d’expertise qui constituerait une sorte de «GIEC3 de la sécurité alimentaire». >lire p. 41 C’est déjà une petite révolution que ce projet adopte le terme de nutrition dans son intitulé. C’est pourtant essentiel.

Par exemple, tous les dispositifs classiques de prévention ou de prévision des crises alimentaires avaient été incapables de prévoir l’impact nutritionnel de la crise alimentaire au Niger en 2005, parce qu’ils étaient encore très orientés sur les seuls facteurs agro-météorologiques et économiques. Mais pas du tout sur ce qui se passait d’un point de vue nutritionnel à l’échelle des ménages. Les spécialistes de l’agriculture ou de l’économie étaient d’ailleurs frappés de constater que cette crise était plus marquée dans la région considérée comme le «grenier du Niger»…

Ces évolutions vers une meilleure prise en compte de la complexité du problème alimentaire conduisent-elles à la formulation de nouveaux paradigmes ?

Francis Delpeuch : Depuis Malthus, il existe un débat récurrent sur le niveau de la production alimentaire à atteindre au regard du nombre de bouches à nourrir. Ce débat est toujours prégnant aujourd’hui avec la perspective d’atteindre 9 milliards d’habitants sur la planète en 2050. Or, même s’il restait 800 millions de personnes sous-alimentées à la fin des années 1990, tout le monde s’accorde pour dire que la recherche agricole n’a pas si mal réussi que cela : en 2000, les sous-alimentés représentaient 14 % de la population mondiale, contre 25 % dans les années 1960-1970. >lire Repères p. 28

C’est pour dire que dans un contexte de très forte croissance démographique, le XXe siècle n’a pas donné raison à Malthus ! Mais tout le monde reconnaît aussi que le paradigme productiviste, qui a dominé la seconde moitié du XXe siècle, atteint aujourd’hui ses limites.

Depuis quelques années, deux paradigmes émergent, sans qu’on puisse dire aujourd’hui si l’un l’emportera ou si les deux cohabiteront. D’abord, celui centré sur les sciences du vivant, avec comme disciplines phares la biologie et l’ingénierie génétique, fondé sur l’hypothèse, non encore vérifiée, qu’il deviendra possible de traiter et de contrôler tous les problèmes ensemble, du laboratoire au champ, puis à l’assiette.

La recherche agricole n’a pas si mal réussi que cela : en 2000, les sous-alimentés représentaient 14 % de la population mondiale, contre 25 % dans les années 1960-1970.

L’autre paradigme, fondé sur l’agroécologie, apparaît davantage multidisciplinaire et cherche à renouveler des formes d’équilibre avec la nature. Il semble avoir en partie inspiré la récente Évaluation internationale des connaissances, des sciences et des technologies agricoles pour le développement (IAASTD), qui constitue une démarche intergouvernementale très intéressante. En effet, elle a réuni plusieurs institutions internationales : la FAO, le Programme des Nations unies pour le développement, le Programme des Nations unies pour l’environnement, l’Unesco, le Fonds mondial pour l’environnement, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la santé. Soit un échantillon très large d’un point de vue thématique. De plus, à la surprise de beaucoup, les priorités d’action tirées de cette évaluation ont été relativement novatrices : investissement dans des systèmes de production durables ; promotion des modèles agricoles basés sur la biodiversité locale ; soutien accru aux petits producteurs ; etc. Dans un contexte de forte croissance démographique et de crise économique, l’IAASTD a appelé à un changement de paradigme dans les modes de production agricole. L’objectif étant de produire des aliments de qualité en quantité suffisante et, surtout, de manière durable.

Quelles devraient être aujourd’hui les priorités de recherche au regard des grands défis posés à la sécurité alimentaire dans le monde ?

Francis Delpeuch : Le schéma sur lequel a reposé l’amélioration de la sécurité alimentaire au XXe siècle – notamment l’utilisation d’une énergie fossile disponible et bon marché – est remis en cause par une conjonction peut-être sans précédent de facteurs structurels majeurs : la poursuite accélérée de la croissance démographique et des mouvements d’urbanisation ; les changements climatiques et leurs impacts sur les ressources naturelles ; l’extrême volatilité des cours des matières premières agricoles ; la limite des surfaces cultivables ; la concurrence des agrocarburants ; l’accaparement de terres agricoles dans des pays où l’insécurité alimentaire prévaut >lire p. 26 ; les menaces qui pèsent sur les ressources en eau et, enfin, les changements dans les régimes alimentaires marqués par le passage, dans les pays émergents, d’une alimentation essentiellement à base végétale à une alimentation caractérisée par une surconsommation énergétique, avec plus de produits animaux et plus de produits manufacturés.

L’agenda de recherche est dicté par ces défis, qui exigent une approche intégrée du système alimentaire mondial : que se passe-t-il de la production à la consommation et quels sont les impacts sur la santé et l’environnement ? L’absence de vision intégrée empêche d’appréhender les aberrations de nos systèmes alimentaires, à savoir les pertes considérables de produits tout au long de la chaîne alimentaire, la dégradation des milieux biologiques, la perte du lien entre santé et alimentation, la coexistence de la sous-nutrition et de l’obésité, etc. Mais la prise de conscience croissante du fait que ce qui est considéré comme défavorable à la santé humaine l’est aussi pour l’état de notre planète invite à l’optimisme. Cette conjonction d’intérêts devrait permettre de créer de nouvelles alliances entre société civile et expertise pour concevoir des systèmes alimentaires durables, résilients et favorables à la santé et à l’environnement.

Cette somme d’enjeux globaux fait quand même voler en éclat le traditionnel clivage Nord/Sud, ou disons, pays riches/pays en développement, qui est constitutif de la question de la sécurité alimentaire…

Francis Delpeuch : Absolument. D’abord d’un point de vue conceptuel. Par exemple, quand Jean-Louis Borloo déclare qu’il faut «produire et consommer localement». Jusqu’ici, on entendait cet argument dans quelques cercles académiques et de la bouche des ONG, mais qu’aujourd’hui, un décideur politique s’empare de cette idée montre bien qu’on entre dans une nouvelle ère. Alors oui, quand c’est possible, il faut essayer de développer la suffisance alimentaire, ce qui ne consiste pas pour autant à revenir au concept d’autosuffisance et à mettre fin aux échanges commerciaux. D’autant que, dans un contexte marqué par les changements climatiques, les échanges internationaux de produits alimentaires resteront importants. Toutefois, la crise de 2008 nous a quand même montré la grande vulnérabilité des pays qui dépendent des importations.

Ensuite, face à ces enjeux globaux, l’expertise devra se décloisonner. Par exemple, en matière de santé et de nutrition, de plus en plus de personnes considèrent que les solutions doivent être raisonnées en fonction de l’environnement. Récemment, le Comité permanent de nutrition des Nations unies (SCN) a publié un communiqué intitulé «The SCN goes green». Tout un programme ! Donc ça bouge, il y a des raisons d’être optimiste…

Autre exemple, l’Assemblée mondiale de la santé, organe directeur de l’OMS, a adopté en 2004 une stratégie pour l’alimentation et l’activité physique dont les orientations sont les mêmes pour les pays riches et les pays en développement. Ensuite, les déclinaisons locales sont différentes, mais les principes sont identiques.

Finalement, comment la recherche parvient-elle à informer les décideurs politiques ?

Francis Delpeuch : Assez mal, me semble-t-il, dans le domaine de la sécurité alimentaire. L’image renvoyée par les médias est souvent celle d’une situation d’urgence, qui incite à la charité et l’aide humanitaire. C’est évidemment essentiel, et il ne s’agit pas de remettre en cause l’aide alimentaire lorsqu’elle est indispensable, mais ce n’est qu’une partie du problème. Les scientifiques n’arrivent pas à mobiliser les pouvoirs publics sur des situations à traiter dans la normalité, sur le long terme, et pas seulement dans l’urgence, c’est une forme d’échec. Cela s’explique notamment par le fait qu’en dehors d’appareils dominants comme la FAO, la recherche est dispersée. Là encore, l’exercice de synthèse mené par l’IAASTD a été très utile, en produisant un résumé pour les décideurs, à l’instar de ce que fait le GIEC.

  • 1) Voir notamment :
    «National food security planning: first thoughts from Sudan». In: Paper presented to the workshop on food security in the Sudan, IDS, University of Sussex, Brighton, 1988.
    «Food security in developing countries: issues and options for the 1990s.» IDS Bulletin 21, p. 3 July 1990.
    «Food security: a post-modern perspective.» IDS Working Paper 9, 1994.
  • 2) A. Sen, Poverty and Famines–An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford University Press, 1981.
  • 3) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.Lire Courrier de la planète n° 89-90 : « Changements climatiques : s’adapter, maintenant ? »

En savoir plus

  • J. von Braun, « Food security must be comprehensively addressed ». IFPRI 2008-2009 Annual Report Essay.
  • J. von Braun and M. Torero, « Implementing physical and virtual reserves ». IFPRI Policy Brief 10, February 2009.
  • M. Ruel and J. Hoddinott, « Investing in early childhood nutrition ». IFPRI Policy Brief 8, November 2008
  • G. Nelson et al., « Climate change: impact on agriculture and costs of adaptation ». IFPRI Policy Seminar, October 5, 2009.

91 | «Tout bouge, rien ne change ?» 

Ce cadrage introduit une série d’entretiens avec Alain de Janvry, Francis Delpeuch, Bernard Bachelier, Olivier De Schutter et Sujiro Seam sur la sécurité alimentaire.
Un dossier thématique et de nombreux repères sont disponibles dans le numéro.

« Tout bouge, rien ne change ? »
De la difficulté à considérer la sécurité alimentaire comme un bien public global

François Lerin,
Institut agronomique méditerranéen de Montpellier

et Sélim Louafi
Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

Sécurité alimentaire : Au-delà de l'urgence
Sécurité alimentaire : Au-delà de l’urgence

La question de la «sécurité alimentaire» apparaît, de prime abord, comme une question purement nationale – celle d’une souveraineté souvent revendiquée dans les relations internationales. Les situations d’urgence liées soit à des conflits locaux, soit à des catastrophes naturelles sont, en ce sens, des exceptions pendant lesquelles l’aide de la « communauté internationale » est requise pour pallier une défaillance momentanée d’États soumis à des contraintes externes trop fortes et indépendantes de leur volonté (le cas d’Haïti aujourd’hui). En effet, il est admis dans le débat international contemporain sur la sécurité alimentaire que le problème est très rarement un problème de disponibilité des biens alimentaires (au sens des anciennes famines historiquesi ) mais un problème d’accessibilité – donc de prix des biens alimentaires ou de revenus des plus pauvres, qui forment ce que l’on appelle parfois le « milliard d’en bas » (bottom billion), pauvres ruraux et urbains confondus. Dit d’une autre manière : il est de la responsabilité des États-nations d’assurer aux pauvres et mal-nourris les biens alimentaires qui sont nécessaires à leur survie et, sauf cas d’urgence, c’est une question d’équité posée à des régimes économiques, sociaux et politiques. En ce sens, la sécurité alimentaire ne serait pas un bien public global.

Les crises se succèdent et, imperturbablement, la FAO propose toujours le même diagnostic, assorti des mêmes solutions.

ET POURTANT…

La hausse des prix des produits agricoles de 2007-2008 est parfois présentée comme une «crise alimentaire globale» – entendue comme une crise du monde global dans lequel nous vivons et qui remet en ce sens la question de la coordination internationale sur le tapis et pourrait faire de la sécurité alimentaire un enjeu collectif. Quels sont aujourd’hui les termes et les acteurs de cette question ?

1) La FAO tout d’abord. Les crises se succèdent et, imperturbablement, l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation propose toujours le même diagnostic, assorti des mêmes solutions : la crise est avant tout un problème de disponibilités dont le règlement passe par une augmentation de la production agricole. Peu importe si ce discours et ces recettes n’ont jamais permis de prévenir ou de répondre efficacement au problème posé…

Toutefois, au-delà de ce constat sévère, il ne faut pas oublier que depuis 2005, la FAO est engagée dans un processus de réforme très profond et inédit à l’échelle d’une agence des Nations unies. Ce processus, qui marque une reprise en main par les États-membres d’une organisation jugée en perte de légitimité, a conduit, notamment, à une tentative de revitalisation du Comité de la sécurité alimentaire (CSA). Constituant l’un des comités techniques de la FAO, le CSA avait été établi à l’issue de la Conférence mondiale sur l’alimentation de 1974, dans le contexte d’une autre «crise alimentaire mondiale», comme un forum d’analyse et de suivi des politiques, dédié à tous les aspects de la sécurité alimentaire dans le monde. Mais ce comité n’a jamais acquis le pouvoir de convocation qui aurait dû être le sien à l’échelle internationale et n’est pas parvenu à engager les autres agences des Nations unies et la société civile dans le processus.

Sa revitalisation aujourd’hui, matérialisée par un changement de statut juridique, s’appuie sur deux piliers. Le premier, politique, engage une plus grande ouverture à la société civile (organisations non-gouvernementales, organisations professionnelles et secteur industriel) et aux organisations internationales «sœurs» et «amies». L’objectif est d’accroître la légitimité politique d’éventuelles décisions internationales. Le second pilier est scientifique. Partant du constat que la coordination internationale bute très souvent sur des diagnostics et sur des solutions non consensuelles, la mise en place d’un panel d’experts de haut niveau (sur le modèle du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – Giec) est censé fournir au processus de décision politique internationale des données et recommandations les plus objectives possibles, améliorant par la-même la qualité de la délibération politique. Légitimité procédurale donc, par l’inclusion des acteurs concernés, et meilleure appréhension de la nature substantielle des débats par le recours à un diagnostic spécialisé, devraient conduire à rehausser et rendre plus effectif le débat politique et la coordination internationale – et faire du CSA l’équivalent des conférences des parties des grandes conventions environnementales : un rendez-vous annuel incontournable de la sécurité alimentaire globale.

2) Les pays les plus développés, via le G8, se sont aussi sentis interpelés par la crise des prix alimentaires qui a précédé la crise économique mondiale. Ils ont pris des décisions dès le printemps 2008, sous présidence française. Elles devraient accoucher d’un «Partenariat mondial pour l’agriculture, l’alimentation et la nutrition» aux contours encore flous pour le moment.LIRE Expertise Vers un panel international, Entretien avec Sujiro Seam Ministère des Affaires étrangères et européennes En juillet 2009, le Sommet du G8 de L’Aquila est convenu de mobiliser 20 milliards de dollars sur trois ans pour une stratégie globale axée sur le développement agricole durable. Cette aide devrait être délivrée par différents canaux (bilatéraux, multilatéraux) et sous différentes formes (nature, facilités, dons, etc.). L’articulation avec les autres institutions traitant de la question alimentaire globale et l’effectivité de ces décisions sont encore en chantier…

3) Plus novateur, les Nations unies, par son directeur-général Ban Ki-moon, ont mis en place en avril 2008, un groupe de travail de haut niveau sur la crise alimentaire mondiale (High-Level Task Force on the Global Food Security Crisis – HLTF), qui se place d’une certaine façon «au-dessus» de son agence spécialisée, la FAO. Justification de cette innovation : la nécessité d’une cohérence entre les actions humanitaires et les actions de développement et la nature plurisectorielle de la sécurité alimentaire. Cette task force comprend un représentant de chacune des vingt-deux agences des Nations unies et inclut de surcroît la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation de coopération et de développement économiques. Elle a produit pendant l’été 2008 un document-cadreii marquant un consensus sur la manière de répondre à la crise et d’investir dans l’agriculture de manière cohérente et coordonnée.

Le caractère collectif de la sécurité alimentaire n’est donc pas franchement pris en charge par une institution multilatérale identifiée.

Cette innovation reste cependant limitée par le fait que cette task force – qui ne bénéficie pas d’une couverture politique formelle (elle ne tire pas sa légitimité de la volonté des États mais simplement de celle du secrétaire général de l’ONU) – s’attelle surtout à des enjeux fonctionnels de coordination. Son caractère novateur cependant porte sur le champ de cette coordination et sur l’affirmation que la question de la sécurité alimentaire est bien de nature globale. En effet, la task force traite de la cohérence entre les urgences de court terme et les objectifs de long terme (temporalité) et de la cohérence entre les multiples secteurs concernés par la sécurité alimentaire (horizontalité). Elle touche même un troisième axe de gouvernance globale, très sensible politiquement (et évidemment approché que sous son angle fonctionnel) : la verticalité, consistant à coordonner les différentes échelles de gouvernance – internationale, nationale et locale.

UN «SYSTÈME» ENCORE TRÈS FRAGMENTÉ

À côté de ces initiatives, une série d’institutions concernées par la sécurité alimentaire globale doivent être considérées dans cette cartographie globale : le Fonds international de développement agricole (Fida), le Programme alimentaire mondial (PAM), le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), la Banque mondiale et l’OMC.

Le CGIAR, notamment, et son réseau de quinze Centres internationaux de recherche agricole mérite une attention particulière. Créés en 1971 avec la mission de développer et de diffuser lar gement des variétés à haut rendement, ces centres ont constitué l’un des mécanismes clés de la révolution verte – première réponse coordonnée et globale à la sécurité alimentaire, envisagée toutefois sous l’angle purement agricole et technique. Depuis, les centres du CGIAR sont passés par de multiples phases de crises et réformes dont la tendance générale a toujours été d’aller plus loin dans la recherche de formes globales et intégrées de réponses aux enjeux de la sécurité alimentaire : intégration de préoccupations environnementales ; inclusion des enjeux de nutrition ; adoption et opérationnalisation du concept de bien public global comme contrepoids au système existant de droits de propriété intellectuelle pour le transfert de connaissances, de ressources génétiques ou d’innovations, etc. Depuis 2008 une nouvelle vague de réformes vise à davantage de coordination entre les différents centres sur des enjeux toujours plus globaux, en réponse aussi à une fragmentation de leurs donateurs.

Si les mots d’ordre insistent sur le caractère nécessairement collectif de la réponse, la réalité reste pourtant celle d’une fragmentation des initiatives et d’une parcellisation des agendas au sein d’institutions ou d’initiatives aux dynamiques différentes mais dont les attributions et intentions se chevauchent parfois !

Le caractère collectif de la sécurité alimentaire n’est donc pas franchement pris en charge par une institution multilatérale identifiée. Si presque tout le monde déplore cette fragmentation, elle est de fait le résultat de l’état du consensus international sur la sécurité alimentaire : personne (État ou institution internationale) n’a la légitimité suffisante pour imposer un modèle unique d’action collective internationale. Aucune des initiatives n’est à même de prendre en charge la question dans son ensemble. De surcroît, tout se passe comme si les termes institutionnels et analytiques de la discussion restaient identiques, même après la récente crise alimentaire. Une fois de plus, on a l’impression que «tout bouge, mais que rien ne change». Mais est-ce vraiment le cas ?

QUEL STATUT «GLOBAL» POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ?

On peut imaginer, ou souhaiter, que les différentes initiatives que nous avons mentionnées convergent vers un nouveau dispositif (le fameux Partenariat mondial ?) qui, notamment via les aspects verticaux d’articulation des niveaux de responsabilité et horizontaux d’articulation entre enjeux globaux, laisse (enfin !) entrevoir, d’une part, la possibilité de mettre la question de la sécurité alimentaire en bonne position sur l’agenda international et, d’autre part, la volonté de résoudre la trop grande fragmentation du traitement de la question.

Cependant, on peut craindre que le chemin soit encore long étant donné que le flou dans la définition du problème reste encore patent. Derrière la notion de «sécurité alimentaire» se cachent des réalités différentes que mettent en lumière l’attention de plus en plus grande portée à la composante nutritionnelle de la question : urgences liées aux conflits et aux catastrophes naturelles ; populations de «quart monde» dans les pays émergents et développés ; défauts de production agricole ; «faim cachée», etc. L’insécurité alimentaire se confond souvent avec l’extrême pauvreté – mais pas toujours !

Dans le triptyque État-marché-aide, qui couvrait la question dans les années 1990 (voir les numéros du Courrier de la planète de 1995, 1996 et 1998), la période du « tout marché » insistait sur le caractère autorégulateur des échanges et du signal de prix. La récente flambée des prix alimentaires a montré que certains pays, massivement importateurs – comme les pays méditerranéens iii – se trouvaient soumis à un risque politique fort, sans mécanismes de compensation en place permettant d’absorber, en interne, la hausse des prix internationaux des produits agricoles et alimentaires.

Cet ensemble d’éléments fait que la « souveraineté », si souvent invoquée, recouvre des enjeux plus complexes que la seule souveraineté étatique des relations internationales. Il s’agit en particulier, face à des États défaillants (quelle qu’en soit la raison), de rappeler que la souveraineté des États est une délégation iv : ce sont les peuples, et donc les individus, qui fondent la légitimité de la souveraineté nationale. On assiste alors au renforcement d’un droit universel à l’alimentation, comme point de référence des stratégies nationales >LIRE Une gouvernance trop fragmentée, Entretien avec Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation et, parallèlement, au développement d’un mouvement international porté par la société civile pour un droit des peuples à se nourrir eux-mêmes – et celui des individus de faire valoir ce droit, à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale…

Alors, la sécurité alimentaire : globale ou pas globale ? Peut-on avec certitude affirmer que l’on a quitté la configuration où une question dans l’agenda global chasse l’autre et où l’on se retrouverait dans quelques temps dans une nouvelle situation de crise, appelant de nouvelles initiatives, qui viendront s’ajouter ou annihiler les précédentes ? Malgré des progrès indéniables, il est encore sans doute permis d’en douter et, comme pour les questions d’environnement (dont le caractère global est beaucoup plus évident), placer les politiques nationales de sécurité alimentaire sous surveillance réciproque au sein du CSA (sur le principe du name and shame plus vraisemblablement que par l’établissement de mécanismes de sanctions) reste à court terme, l’horizon sans doute le plus probable.

91 | Sécurité alimentaire : au-delà de l’urgence

Le «milliard d’en bas» revêt donc des réalités bien différentes é et encore ne prend-il pas en compte la seule malnutrition, par carence (fer, vitamine A, etc. à «la faim cachée») ou par excès (surpoids et obésité), devenue un enjeu global. Tant que ne sera pas mieux qualifié ce que recouvre exactement ce milliard, il risque de représenter encore pour longtemps un problème insoluble et contraindra la communauté internationale à continuer de voler d’urgences en urgences.

Edito de Damien Conaré, rédacteur en chef

En juin 2009, la FAO estimait que le cap du milliard d’individus souffrant de la faim avait été dépassé. L’humanité compte donc un milliard de personnes sous-alimentées, soit 15 % de sa population, un niveau sans précédent. La flambée des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, à laquelle a immédiatement succédé la crise économique mondiale, a aggravé une tendance déjà décevante depuis 1996. L’envol de la quasi-totalité des prix alimentaires, accompagné d’une extrême volatilité, a marqué la grande incertitude des marchés des produits agricoles. Un constat qui fait craindre une phase durable d’instabilité des prix agricoles, voire même, selon certains, «la fin des aliments bon marché».

Premières victimes, les populations les plus pauvres évidemment, rurales et urbaines, contraintes d ‘opérer des choix drastiques dans leurs dépenses essentielles (alimentation, santé, éducation), plongeant ainsi un peu plus dans le cercle vicieux de la pauvreté. Tout le monde le reconnaît aujourd’hui, l’objectif du Millénaire pour le développement, qui visait é réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de personnes sous-alimentées dans le monde, est largement hors de portée. Ce «milliard d’en bas» (bottom billion) est-il donc condamné aux promesses sans lendemains ? Faut-il se résoudre à l’idée quéil représente une minorité d’invisibles, ni citoyens du «tout-monde», pris qu’ils sont dans des conflits ou des états défaillants, ni même sujets economicus du grand marché mondial ?

L’actualité vient pourtant nous confronter à nouveau à cette minorité invisible, en butte à des conditions naturelles adverses. En Haïti d’abord, où la population est placée devant une grave situation d’urgence. Quitte d’ailleurs, au passage, à jeter le discrédit sur ces pauvres que l’on ne saurait voir (à Port-au-Prince, comme à La Nouvelle-Orléans du reste, on ne lutte pas pour sa survie, on «pille»).

Au Sahel ensuite ou, à la suite d’un fort déficit pluviométrique, la situation alimentaire dans l’est de la région (Niger, Burkina Faso, Tchad) suscite des inquiétudes pour les mois à venir. Le Programme alimentaire mondial et la FAO évoquent «un risque imminent d’insécurité alimentaire élevé pour les ménages vulnérables». En Inde enfin (pays-continent le plus atteint par la sous-alimentation et qui fait l’objet de notre dossier), où, après une année de sécheresse, les autorités s’inquiètent du déséquilibre croissant entre production alimentaire et croissance démographique, faisant craindre une pénurie des denrées de base.

Ces trois situations reflètent bien la diversité des formes de l’insécurité alimentaire : confrontation à une catastrophe naturelle exceptionnelle dans un pays pauvre ; déficit de production et donc de disponibilités alimentaires dans des zones rurales peu ou mal connectées au reste du marché ; difficultés structurelles à garantir l’autosuffisance alimentaire à l’échelle nationale pour une puissance émergente.

Le milliard revêt donc des réalités bien différentes à et encore ne prend-il pas en compte la seule malnutrition, par carence (fer, vitamine A, etc. à «la faim cachée») ou par excès (surpoids et obésité), devenue un enjeu global. Tant que ne sera pas mieux qualifié ce que recouvre exactement ce milliard, il risque de représenter encore pour longtemps un problème insoluble et contraindra la communauté internationale à continuer de voler d’urgences en urgences.

Sommaire

  • DOSSIER Inde
  • Repère Une situation alimentaire préoccupante
  • Biodiversité| Une option contre la crise
    alimentaire

    Suman Sahai, Gene Campaign
  • Loi de sécurité alimentaire| Une réforme indispensable ?,
    Sitaram Kumbhar, Université de Delhi
  • Foncier| L’Inde cultive l’Afrique,
    Dinesh C. Sharma, Journaliste, Mail Today
  • Kerala| Vers lé autosuffisance alimentaire ?,
    Pulapre Balakrishnan, Centre for Development Studies
  • Gujarat| Profiter de l’essor économique,
    Ashok Gulati et Ganga Shreedhar
    Institut international de recherche sur les politiques alimentaires
  • DOSSIER | Méditerranée
  • Climat| Un facteur de changement parmi d’autres
    Raphaël Billé & Benjamin Garnaud, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Eau et agriculture| Des modèles condamnés à changer
    Holger Hoff, Stockholm Environment Institute
  • Tourisme| Un littoral toujours aussi attractif ?
    Alexandre Magnan, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Alger| Contrer les risques d’inondations
    Nadjet Aroua & Ewa Berezowska-Azzag, École nationale supérieure d’architecture d’Alger
    • Pêche illégale : ce que peut le droit européen
    • Santé : accès aux soins au Sud
    • Climat : après l’orage de Copenhague, l’éclaircie de Mexico ?

89-90 | S’adapter maintenant

S'adapter maintenant

À trois semaines de la conférence de Copenhague, on peut raisonnablement prévoir que, sauf engagement politique fort de dernière minute, elle n’aboutira pas à un traité complet capable de relayer le protocole de Kyoto, qui engageait les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) sur la période ;2008- 2012. Au mieux, un accord politique devrait être conclu, scellant si possible les principaux engagements (réduction des émissions et coopération financière et technologique avec les plus vulnérables). Les détails technique de l’accord seront alors finalisés en 2010.

Est-ce vraiment si grave ? Pas forcément. D’abord, la conclusion d’un accord international n’est pas une fin en soi : encore faut-il en assurer la mise en œuvre effective. Ensuite, l’effervescence politique et les attentes parfois démesurées entretenues par un «climat d’urgence» ne doivent pas hypothéquer plusieurs éléments essentiels.

Mais pourquoi un tel pessimisme à la veille du rendez-vous de «Hopenhague», comme l’ont rebaptisé certains ? Sans doute parce que, devenue un modèle pour l’action collective, cette négociation a fini par cristalliser toutes les attentes.

Premièrement, n’oublions pas que les négociations internationales sur le climat durent depuis dix-huit ans. Elles s’inscrivent donc dans un temps long, qui a vu notammen la communauté scientifique s’organiser pour développer une expertise collective sans précédent par son ampleur. Malgré les nombreuses incertitudes et les précautions d’usage, cette expertise a permis d’informer les décideurs politiques et d’alerter l’opinion publique sur la nature du problème et de ses conséquences. Ceci dans un domaine particulièrement complexe, qui nécessite la prise en compte quasi permanente de nouveaux critères pour évaluer un risque, dont les conséquences sont très variées.

Deuxièmement, et malgré cette complexité, n’oublions pas non plus que la plupart des pays ont lancé, ou mis à l’étude, des politiques de réduction de leurs émissions de GES : projet de loi aux états-Unis ; «paquet énergie-climat» dans l’Union européenne ; plans climat au Brésil, en Inde, au Mexique, en Australie et en Chine. Sans parler des multiples engagements de réseaux internationaux de collectivités locales ou d’industriels. On peut évidemment critiquer le peu d’ambition de certaines de ces initiatives, pas forcément à la hauteur de l’enjeu. Elles contredisent néanmoins l’apparent immobilisme des négociations.

De fait, même si globalement ses résultats ne sont pas glorieux, si les «mauvais élèves», Canada en tête, ne sont pas sanctionnés, et si les états-Unis ont regardé passer le train, le protocole de Kyoto aura au moins contribué à fixer un cap.

Certes, il va désormais falloir passer une vitesse largement supérieure. Mais pourquoi un tel pessimisme à la veille du rendez-vous de «Hopenhague», comme l’ont rebaptisé certains ? Sans doute parce que, devenue un modèle pour l’action collective, cette négociation a fini par cristalliser toutes les attentes. Victime de son succès en quelque sorte. Comme ce fut e cas il y a tout juste dix ans à Seattle pour les négociations commerciales multilatérales de ’OMC qui, depuis, piétinent… Or, quels qu’en soient les résultats, Copenhague ne proposera qu’une partie de la solution : le changement climatique ne pose pas une question à laquelle l faudrait trouver une réponse. Il requiert plutôt une dynamique multiforme pour repenser nos modèles de croissance et invite à dessiner une nouvelle géopolitique, où les puissances émergentes posent clairement le rôle qu’elles entendent jouer dans une économie plus sobre en carbone. Copenhague ne sera donc qu’une étape, forcément décevante, dans la transition qui devra s’opérer.

Damien Conaré,
rédacteur en chef

  • S’adapter maintenant ?
    Entretiens avec Michel Colombier, Institut du développement durable et des relations internationales,
    Jean-Pascal Van Ypersele , Vice-président du GIEC, institut d’astronomie et de géophysique,
    Laurence Tubiana , fondatrice de l’Iddri, directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes
    et Andreas Spiegel, Swiss reinsurance Company

  • Union européenne| Quels potentiels d’adaptation ?
    Valentina Bosetti et Enrica de Cian,
    Fondazione Eni Enrico Mattei
  • REPERES
    De la science à l’engagement politique
  • Science et politique| De la recherche à l’engagement collectif
    Lionel Charles, Fractal
    et Hervé Le Treut, Centre national de la recherche scientifique
  • REPERES
    GIEC : consensus scientifique et politique
  • REPERES
    Changements climatiques avérés et incertitudes
  • Solidarité internationale| Résoudre l’équation climat-développement
    Anne Chetaille, Groupe de recherche et d’échanges technologiques
  • Copenhague| Que serait un bon accord ?
    Emmanuel Guérin, Institut du développement durable et des relations internationales
  • REPERES
    Copenhague : les enjeux de la négociation
  • DOSSIER | Les plus vulnérables
  • Adaptation| Les pistes de financement
    Manish Bapna & Heather McGray, World resources institute
  • Pays en développement| Combler le fossé
    Katell le Goulven, Commission sur les changements climatiques et le développement
  • Migrations| Une stratégie d’adaptation ?
    François Gemenne, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Pacifique| Des petites îles très exposées
     Jon Barnett, université de Melbourne
    et John Campbell, université de Waikato
  • Johannesburg| Priorité aux mal-logés
    Linda Phalatse & Given Mbara, ville de Johannesburg
  • Haïti| Des mesures, vite !
    Remy Sietchiping, Programme des nations unies pour les établissements humains
  • Pays-Bas| Se protéger des eaux, encore !
    Sonja Dipp, Peter Bosch & Kees van Deelen, Netherlands Organisation for Applied Scientific Research
  • Inde| Les mégapoles en première ligne
    K. Shadananan nair, Nansen Environmental Research Centre India
  • DOSSIER
    Méditerranée
  • Climat| Un facteur de changement parmi d’autres
    Raphaël Billé & Benjamin Garnaud, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Eau et agriculture| Des modèles condamnés à changer
    Holger Hoff, Stockholm Environment Institute
  • Tourisme| Un littoral toujours aussi attractif ?
    Alexandre Magnan, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Alger| Contrer les risques d’inondations
    Nadjet Aroua & Ewa Berezowska-Azzag,
    Ecole nationale supérieure d’architecture d’Alger
    • L’ACTUALITE DU TRIMESTRE
      sélectionnée par la rédaction du Courrier de la planète
    • OMC : les pays africains toujours mobilisés autour du coton
    • Australie : changement climatique, changement politique
    • Agriculture bio : le discours des institutions internationales
    • rebond : «Injonctions internationales»