91 | Biodiversité |  Une option contre la crise alimentaire

Suman Sahai
GENE CAMPAIGN
J-235/A, Lane W-15C – Sainik Farms – Khampur – New Delhi 110 062 – Inde
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Le mouvement Gene Campaign considère que la crise alimentaire actuelle n’est pas une fatalité. L’Inde peut non seulement maintenir son autosuffisance alimentaire mais, aussi, devenir un pays en excédent agricole, moyennant la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures : adaptation aux changements climatiques en choisissant des variétés résistantes ; développement de l’irrigation ; éviter les écueils des agrocarburants et des OGM, etc.

Il est préoccupant de voir l’Inde dotée d’un dispositif de recherche et d’un système exécutif, inefficaces et incapables de relever les défis posés par la crise alimentaire. Pour venir à bout de cette crise, une première étape serait la révision complète du fonctionnement d’institutions comme l’Indian Council of Agriculture Research, les universités agricoles et les réseaux de distribution alimentaire. Il est par exemple décevant qu’au sein de la communauté scientifique, les agronomes n’aient jusqu’ici fait aucune déclaration ni révélé aucun plan pour surmonter les conséquences du changement climatique sur l’agriculture.

Pour revigorer le secteur agricole, un changement radical d’approche s’impose. Les points de vue et les expériences d’un ensemble d’acteurs, rarement consultés, doivent être pris en considération. Pour trouver des solutions et créer des opportunités nouvelles, les savoirs locaux doivent être valorisés et combinés aux apports de la science moderne. Par exemple, au Jharkhand, Gene Campaign a mis au point une plante tenant lieu de pesticide pour protéger les récoltes. Cette innovation repose sur les savoirs des communautés Adivasi.

Changements climatiques et agriculture

À long terme, les défis les plus sérieux auxquels l’agriculture indienne sera confrontée sont les changements climatiques. Ils pourraient causer des dégâts irréversibles sur les écosystèmes et réduire les potentiels de production. Précipitations violentes et variables, vagues de chaleur, cyclones, sécheresses et inondations seront probablement plus fréquents et intenses. Les répercussions économiques seront désastreuses. Les décideurs politiques devront faire face au risque accru de crises économiques récurrentes, qui affecteront en premier lieu les populations les plus vulnérables. En conséquence, des mesures d’adaptation doivent immédiatement être mises en place de façon à ce que l’agriculture indienne puisse anticiper ces changements.

Il conviendrait également de : compiler les données météorologiques du siècle dernier pour détecter les tendances des variations de température et de pluviométrie ; établir des projections sur l’évolution des rendements ; calculer la diminution des surfaces fertiles au profit de la progression de sols arides, de la désertification et de la montée des eaux océaniques et, enfin, de développer des stratégies pour compenser les pertes de production agricole.

Avec l’accentuation du réchauffement climatique, l’Inde subira des baisses de production de blé, une culture fortement dépendante des températures nocturnes. Où cela sera nécessaire, il faudrait développer des stratégies pour implanter des cultures de substitution. Pour diversifier le panier alimentaire, il s’agirait de revaloriser les aliments oubliés ou négligés comme le millet, les ignames, es légumes verts, les choux et autres produits sous-exploités. La plupart de ces aliments sont cultivés par les communautés rurales pour lutter contre la famine lorsque les mauvaises conditions météorologiques anéantissent les autres cultures. Dans des conditions climatiques peu optimales, ces cultures sont donc plus résistantes et pourraient aujourd’hui retrouver de la valeur.

En Inde, seulement 30 à 35 % des terres agricoles sont irriguées. Chaque goutte de pluie devrait être précieusement collectée via des bassins de rétention et des réservoirs. Ils pourraient être aménagés à l’échelle des foyers et des villages. L’eau serait ainsi disponible pour les secondes cultures hivernales. Si ces options et les mesures politiques comme le National Rural Employment Guarantee Act[^1] [^Cadre législatif adopté en 2005 qui propose une garantie d’emploi de cent jours par année fiscale pour les membres adultes des foyers ruraux désireux d’effectuer des travaux publics non qualifiés.]: sont concrètement appliquées, les productions alimentaires pourraient doubler au minimum.

Maintien de la diversité génétique

L’Inde peut devenir un pays autosuffisant sur le plan alimentaire, voire détenir des excédents agricoles, s’il agit correctement. L’envolée des prix mondiaux des denrées alimentaires va persister car elle est directement liée au prix du pétrole qui ne diminuera vraisemblablement pas dans un avenir proche. En Occident, l’agriculture est coûteuse parce qu’elle est très fortement dépendante du pétrole. Tout est entièrement mécanisé et l’usage des produits chimiques est très intensif.

En Inde, l’agriculture est peu mécanisée mais exige une importante main-d’œuvre d’où une moindre dépendance au pétrole. L’utilisation d’engrais chimiques est complétée par des apports en nutriments bio-organiques. Des groupes comme Gene Campaign promeuvent l’emploi de compost comme le vermi-compost, l’algue bleu-vert et autres engrais biologiques qui maintiennent la fertilité des sols.

Depuis longtemps maintenant, il est admis que la diversité génétique est la clé du maintien d’une production alimentaire durable. Ceci est d’autant plus important que nous sommes confrontés aux changements climatiques qui modifieront les zones de production. Si l’on considère ces changements, la seule façon de concevoir de nouvelles variétés est d’étudier la diversité génétique d’un grand nombre de semences pour rechercher les gènes qui conviendraient le mieux aux futures évolutions climatiques.

Par exemple, ne pourrions-nous pas retrouver les gènes capables de résister à la sécheresse ? Des gènes supportant les maladies fongiques ? Ou des gènes résistants aux parasites et aux insectes, qui n’étaient pas connus jusque-là ? Pour réussir, nous avons besoin d’accéder à une grande variété de gènes. Cela passe par la préservation des différentes variétés de plantes, de bétail, d’espèces forestières, par l’aquaculture et, plus que tout, par les sols. La biodiversité des sols est essentielle pour assurer de bons rendements.

L’Inde abrite une riche biodiversité car nos agriculteurs conservent plusieurs centaines de variétés d’une même culture. Malgré la révolution verte, une diversité biologique significative existe toujours. Elle doit être protégée. Hormis la banque nationale de gènes, le gouvernement ne fait pas beaucoup d’efforts. La société civile devrait se mobiliser pour créer une grande réserve rassemblant toute sorte de semences. Toute la richesse génétique pourrait ainsi être découverte et de nouvelles variétés pourraient être produites.

Les banques de gènes

Réalisant l’importance cruciale de la biodiversité pour assurer la sécurité alimentaire sur le long terme, Gene Campaign a fondé depuis quelques années, une banque de gènes conçue pour la conservation du matériel génétique traditionnel, disponible dans les villages du Jharkhand et de l’Uttaranchal. Au Jharkhand, il existe déjà environ dix banques de gènes, comprenant au total une collection de plus de 2 000 variétés, principalement du riz. Chaque année, de nouvelles banques sont créées par un nombre croissant d’agriculteurs.

L’Inde devrait investir massivement dans l’installation systématique de banque de gènes pour :

  • conserver toute la diversité génétique qui existe pour les céréales, et surtout les produits alimentaires de base, comme le riz. L’Inde est le berceau du riz et d’une quantité importante d’autres cultures vivrières telles que les légumineuses ;
  • entretenir un vivier de semences adaptées au contexte local et accessibles aux agriculteurs ;
  • définir les propriétés de toutes les variétés afin que les semenciers puissent utiliser ces caractéristiques génétiques pour reproduire de nouvelles variétés (résistantes à la sécheresse, à la salinité, à la hausse des températures, aux divers animaux de compagnie et produisant de hauts rendements).

S. S.

Malgré la révolution verte, une diversité biologique significative existe toujours. Elle doit être protégée.

Biocarburants contre sécurité alimentaire

L’Inde a commencé à promouvoir le développement de biocarburants et se fixe comme objectif d’utiliser d’ici 2012 un carburant qui soit un mélange de pétrole (95 %) et d’agrocombustibles (5 %). D’ici 2017 la proportion de biocarburants devra atteindre 10 % et augmenter de plus de 10 % les années suivantes. Cette surenchère doit stopper. L’Inde doit cesser de suivre la politiqu des États-Unis en matière d’agrocarburants pour se consacrer davantage à sa production alimentaire.

Les variétés de jatropha utilisées en Inde, Jatropha curcas, sont peu productives : elles donnent une tonne de grains par hectare lorsque les conditions sont optimales. En vendant ses graines sept centimes d’euros par kilo, l’agriculteur ne gagnerait que 70 euros par hectare et par an. Ainsi, le manque à gagner pour l’exploitant serait réel. Des travaux de recherche prouvent que les biocarburants génèrent au final moins d’énergie qu’il n’en faut pour les fabriquer. Pour produire à base de maïs, un litre d’éthanol qui fournira 5 130 kilocalories d’énergie, il faut consommer 6 597 kilocalories d’énergie non renouvelable. Le déficit est de 22 %. Même si toutes les terres arables de la planète servaient à produire des biocarburants, des études de l’OCDE précisent que seuls 20 % de nos besoins actuels seraient comblés. En outre, les biocarburants sont plus chers que l’essence, une différence de prix aujourd’hui maquillée par des subventions.

Les thuriféraires des biocarburants soutiennent que les cultures vouées à la production des agrocombustibles ne monopolisent pas les terres fertiles mais poussent sur des terres dégradées ou en friche. C’est un mythe. N’importe quel biologiste vous dira que pour cultiver des plantes en bonne santé avec des rendements intéressants pour produire des aliments à haute valeur ajoutée (comme l’huile), la plante doit être soigneusement arrosée et nourrie. Une irrigation adéquate et l’adjonction de quelques doses d’engrais sont une impérieuse nécessité. Sans de tels soins, le jatropha ne produira pas assez de graines pour être rentable.

Ensuite, si les terres prétendument en friche peuvent faire pousser du jatropha, ces sols ne devraient-ils pas être utilisés pour la culture de plantes vivrières comme les céréales, les légumineuses et les oléagineux, ou bien ne pourraientils pas servir de réserve de fourrage ? L’Inde détient un cheptel composé d’un très grand nombre de têtes. Les régions déficitaires en pâturage et en terres fertiles devraient convertir leurs friches en pâture pour leur bétail et non en espaces pour produire des biocarburants. La culture industrielle des biocarburants soulève des questions d’éthique et d’équité. D’un côté, les pauvres ont le droit d’être nourris et le pays doit faire son maximum pour produire suffisamment de nourriture, vaincre la sous-alimentation endémique et la pauvreté. De l’autre, la stratégie des biocarburants consiste à priver les pauvres de terres à vocation alimentaire, pour cultiver des plantes destinées à la production d’agrocarburants utiles à ceux qui possèdent des voitures.

Un rapport conjoint de la FAO et de l’OCDE prédit que la tendance actuelle qui consiste à détourner les terres de leur vocation alimentaire pour produire des biocarburants exacerbera l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Sur les dix prochaines années, le rapport prévoit une hausse continue du prix des aliments. Tandis que cette inflation profitera aux pays exportateurs de denrées agricoles et aux exploitants les plus puissants, elle menacera l’économie des pays importateurs, les revenus des petits fermiers et privera les urbains les plus démunis d’une nourriture bon marché.

La promotion des biocarburants par les États-Unis est une diversion orchestrée par un pays qui refuse de ratifier le protocole de Kyoto, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et d’introduire des véhicules moins polluants. Les États-Unis feignent d’être concernés par la question environnementale et nient leurs responsabilités dans l’accélération du réchauffement climatique. Les autres pays ne doivent pas se laisser duper. Ils devraient suspendre leurs programmes visant à consacrer des millions d’hectares à la culture de ces plantes destinées à produire des biocarburants et privilégier des sources d’énergie alternatives comme l’hydrogène, le solaire, l’éolien et la géothermie.

Où sont les OGM contre la faim ?

Avec la crise alimentaire, les pro-OGM semblent avoir le vent en poupe. Ils emploient toute leur rhétorique pour convaincre l’opinion que sans les OGM, la sécurité alimentaire ne peut être atteinte. Mais où sont les OGM qui vaincront la faim dans le monde ? Quelles sont les semences génétiquement modifiées à ce jour disponibles qui augmenteront les taux de productivité agricole et qui introduiront des niveaux de nutrition plus élevés ? Quel rôle joue le coton Bt pour accroître la disponibilité en nourriture ? L’aubergine Bt et le gombo Bt, qui sortiront bientôt des champs d’expérimentation pour gagner ceux des agriculteurs, résoudront-ils la crise alimentaire ?

Cette position absurde et sans fondement atteint son paroxysme avec la «trouvaille scientifique» de l’université Jamia Harmdard de Delhi qui a réussi à mettre au point une variété de fraise résistante à la salinité ! En ces temps de crise alimentaire (et à tout moment d’ailleurs), le lobby des biotechnologies conduit des recherches sur des cultures aussi «frivoles» que des fraises mais ose encore prétendre que la sécurité alimentaire sera résolue uniquement par des semences génétiquement modifiées ! De plus, les défenseurs des OGM font pression pour promouvoir les agrocarburants : cultiver plus de plantes génétiquement modifiées… pour produire plus d’agrocarburants.

Une logique semblable se met en route avec l’élaboration d’un sucre génétiquement modifié pour produire du carburant à partir de l’éthanol. La promotion des plantes génétiquement modifiées au profit des agro-combustibles révèle l’hypocrisie du lobby des biotechnologies.

Selon eux, dépendre exclusivement de variétés naturelles pourrait causer des déficits alimentaires et mener au déboisement dans la mesure où, pour satisfaire une demande croissante en nourriture, il faudrait augmenter les superficies cultivables. Ces mêmes compagnies sont pourtant favorables à la conversion de superficies limitées de terres arables pour produire des agro-combustibles, et non pour assurer la sécurité alimentaire.

S. S.

Texte extrait de « India can beat the food crisis ».
www.cbd.int/doc/external/mop-04/gc-en.pdf